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Un élan irrésistible qui mène à un effacement des figures autorité




Un élan irrésistible qui mène à un effacement des figures autorité <les bouleversements>


Face au choc des grandes forces que sont le Tiers-État éclairé et la noblesse en France, ou les réformes des Lumières et le peuple obscurantiste à Bruxelles, la figure d’autorité semble perdre de son importance : si elle est un administrateur efficace durant les phases d’équilibre, elle n’a plus aucun rôle durant les phases de changement. Pour Forster, les phases de changement sont dominées par ces forces, qui ont certes été impulsées par des dépositaires d’une certaine autorité – qu’elle soit politique, scientifique, morale – mais qui sont désormais hors de leur contrôle. Ainsi, dans la citation suivante, Forster place les lois naturelles au-dessus d’un monarque de droit divin, Joseph II. À propos de ses tentatives de réforme dans le Brabant, Forster écrit qu’il voulut « voir apparaître en même temps autour de lui la fleur et le fruit, [...] mais l’espoir était trop hardi de pouvoir produire tout cela par ses propres forces [...]. On récolte toujours ce que l’on a semé ! Telle est la grande et irrévocable loi naturelle que Joseph méconnut. » Il s’agit certes d’une métaphore, mais qui confirme l’analogie étudiée ici. Dépouillé de sa personne spirituelle, le monarque n’est qu’un homme parmi d’autres, son action peut être jugée et reconnue comme imparfaite.

Sous l’Ancien Régime, le monarque avait un rôle d’arbitre entre les différents ordres de son royaume. Les troubles des années 1790 en Europe sont un constat d’échec de cette médiation : de même qu’il n’y a plus de place dans les travaux scientifiques de l’époque, notamment ceux de Buffon, pour une médiation divine dans l’opposition des forces naturelles, il n’y a plus de place pour une médiation d’un souverain de droit divin dans l’affrontement des grandes forces politiques. Qu’il soit conservateur ou progressiste, ce souverain est impuissant si ces forces apparaissent dans son royaume, comme le montre l’analyse par Forster des tentatives réformatrices de Joseph II aux Pays-Bas, qui ont abouti à un échec en raison de la coalition du peuple avec le clergé qui souhaitait défendre ses privilèges.

C’est dans cette optique qu’il faut comprendre sa comparaison de la force du peuple avec des forces naturelles. À l’échelle de la vie d’un homme, ces dernières apparaissent comme soudaines, irrésistibles et souvent destructrices. En réalité, les sciences naturelles montrent que ces forces ne constituent que la partie visible à l’œil nu d’un processus qui s’inscrit dans le temps long et qui a, sinon un but, du moins une certaine logique interne. De la même manière, la force destructrice du peuple n’est elle-même que l’aboutissement de ce lent travail de sape inconscient du concept d’autorité de l’Ancien Régime. Confrontées à ce déferlement inattendu, les figures d’autorité traditionnelles n’ont d’alternative que d’abandonner l’ancien concept d’autorité symbolique sur lequel reposait leur autorité réelle et tenter de reconstruire un autre fondement à leur autorité, ou de s’y tenir et disparaître avec lui.
Quelle que soit la situation, l’irruption d’une phase de changement, même impulsée par la figure d’autorité, semble donc conduire pour Forster à son effacement, sa déresponsabilisation au profit de forces qui s’affrontent directement, sans possibilité de médiation. Le parallèle établi avec les sciences naturelles est symptomatique du changement radical de statut des figures d’autorité traditionnelles, qui démontrent leur incapacité à assurer leur rôle de médiateur dans une situation d’intense bouleversement politique. Cette comparaison des forces politiques avec des forces naturelles irrésistibles, novatrice pour l’époque, naît à la fois de l’essor de l’anthropologie, du caractère naturaliste et empiriste de Forster, et du caractère unique des événements historiques dont il est le témoin, la Révolution française. Cette idée sera ensuite reprise par Hegel, puis par Nietzsche (Bertino, 2011 : 24) notamment.