Bouleversements politiques et effacement des figures d’autorité
La Révolution française provoque une crise qui ébranle les fondements de l’autorité des figures d’autorité traditionnelles. Si les philosophes des Lumières considèrent en majorité que cette remise en question des figures d’autorité traditionnelles n’a été rendue possible que par l’action de nouvelles figures d’autorité – les penseurs des Lumières sur le plan théorique, puis les grands révolutionnaires sur le plan pratique – certains penseurs, comme Georg Forster (1754-1794) explorent l’idée alternative de grandes forces irrésistibles qui écloraient avec la Révolution.
Forster est un témoin privilégié de son temps par ses capacités d’observation et d’analyse des événements auxquels il assiste, liées à son expérience dans la rédaction de récits de voyage, notamment lors du second voyage du capitaine James Cook, auquel il participa. Même s’il reste en marge de la société scientifique pour différentes raisons, notamment son absence de spécialisation scientifique et son intérêt pour la pratique, il entretient de nombreux contacts avec elle. Il dispose d’une formation de botaniste et de naturaliste. Sa lecture de Buffon d’une part, des philosophes anglo-saxons héritiers de Hume d’autre part ont contribué à ses conceptions empiristes. Il fut professeur de sciences naturelles à Cassel puis à Vilnius, bibliothécaire à Mayence et cofondateur de la république révolutionnaire de Mayence.
Parler de figure d’autorité évoque en premier lieu un individu incarnant une autorité. Mais une « figure » peut également désigner le visage en tant qu’il véhicule des expressions, une illustration, ou encore, en mathématiques, un dessin permettant de visualiser une situation. Ces différents usages désignent tous une forme, un medium transmettant des informations. La figure d’autorité apparaît alors comme un écran sur lequel se projette l’autorité réelle, concrète, de l’exercice du pouvoir. Elle ne désigne pas uniquement le monarque, mais la royauté et ses partisans. Le monarque incarne l’autorité, mais comme tout être de chair, il est voué à la déchéance. Il faut donc distinguer l’autorité en tant qu’elle appartient à un ensemble de valeurs symboliques et garantit la stabilité d’un système politique, et l’autorité tangible, synonyme de pouvoir, exercée par quelques individus. La Révolution française contraint les figures d’autorité à interroger et à remettre en cause leur rapport aux fondements de leur autorité. Comment rendre le concept d’autorité pérenne au-delà de la déchéance de ses dépositaires, sans pour autant en amoindrir l’influence réelle, temporelle, tel est le dilemme que les théoriciens de l’Ancien Régime ont essayé de résoudre.
Avec la remise en question de l’autorité traditionnelle au siècle des Lumières, ce dilemme atteint son point culminant, au point qu’apparaissent certaines situations où il semble impossible de ménager à la fois la force du concept d’autorité et l’influence réelle de ses dépositaires : ces derniers doivent souvent choisir entre perdre le pouvoir et modifier radicalement les fondements de leur autorité. La remise en question théorique du fondement de l’autorité royale en France au XVIIIe siècle par les philosophes des Lumières redéfinit également la relation entre les figures d’autorité et le peuple, à travers l’apparition du concept de légitimité (Sellin, 2011 : 3).
Ce bouleversement ne correspond-il qu’à un changement de définition de l’autorité et de son rapport à ses dépositaires ? Ou bien permet-il l’éclosion d’un nouveau type de causalité en histoire, de grandes forces sociales qui supplanteraient en partie les grands hommes dans le déroulement des événements historiques ?
Cet article cherche à montrer que Forster explique la déchéance des figures d’autorité traditionnelles en établissant un parallèle entre les forces populaires et les forces naturelles, amorçant de ce fait un changement de perspective dans la théorie politique. Dans une optique d’histoire des idées, nous analyserons à la fois la genèse de ce parallèle et les conséquences qu’il eut sur la théorie politique de Forster.
L’absence de texte théorique de Forster sur la question en rend l’étude difficile, il faut rechercher ces similitudes dans ses écrits politiques et ses récits de voyage du début de la Révolution française. Ces textes sont les Ansichten vom Niederrhein, récit du voyage qu’il fit en 1790 à travers l’Allemagne, le Brabant, les Pays-Bas et la Grande-Bretagne et qui intègre de nombreuses considérations de philosophie politique, Revolutionen und Gegenrevolutionen qui présente l’éclosion des différentes révolutions européennes en 1789 et 1790, et Über die Beziehung der Staatskunst auf das Glück der Menschheit, écrit révolutionnaire de 1793 qui dénonce la duplicité des princes dans leur prétendue volonté de faire le bonheur de leurs sujets.
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